mardi 10 décembre 2013

Ce que peut enseigner une carte... L'exemple de la "carte de Selden" et son interprétation pluridisciplinaire

Pour poursuivre notre discussion sur la manière dont les sources visuelles historiques (dont cartographiques) peuvent enrichir notre réflexion historique, cet article et surtout les liens vers lesquels il renvoie me semblent tout à fait révélateurs des apports possibles de ce type d'objets historiques a priori plutôt atypiques. Cette carte chinoise connue sous le nom de "carte de Selden" (du nom de son dernier acquéreur) et qui daterait d'environ 1620 n'a été que très récemment analysée sous un angle scientifique apte à faire ressortir des aspects inédits ou du moins peu mis en évidence dans les études portant sur cette époque.  

Cela s'inscrit notamment dans le cadre de la démarche interdisciplinaire lancée par l'Oxford Research Centre in the Humanities (TORCH) qui a invité des chercheurs de disciplines différentes a venir examiner la carte pour en dégager de nouvelles interprétations et perspectives d'étude.

La carte montre une vue de la Chine perçue de l'extérieur et non de l'intérieur, mettant l'accent sur les relations commerciales avec ses voisins et offrant ainsi un aperçu sur le dynamisme et la complexité des échanges en Asie du Sud-Est au XVIIe siècle.

Ce qui frappe particulièrement les chercheurs est que cette carte, sûrement réalisée par des marchands ou en tout cas à des fins commerciales, n'a pas pour centre la Chine elle-même comme la plupart des cartes de l'époque. Au contraire, le pays ne représente qu'une petite partie de cette carte qui est principalement axée autour de la mer de Chine méridionale.

On voit donc bien comment la carte peut être révélatrice aussi de conceptions et de représentations, en l'occurence sur la manière dont ces marchands chinois perçoivent et rendent compte de leurs interactions avec les pays voisins. Plusieurs types de lectures (historique, politique, économique, artistique) peuvent ensuite venir s'aggréger pour compléter l'analyse. Cela confirme aussi l'idée que dans l'exploitation de documents visuels, il est sûrement bon pour les historiens de chercher à collaborer avec des chercheurs d'autres disciplines, peut-être mieux à même de décrypter certains détails qui pourraient nous échapper.

1 commentaire:

  1. Ecrire l'histoire à partir de cartes... hum, pourquoi pas ? Un récit cartographique, ça doit nous inspirer : les cartes géographiques elles-mêmes sont bourrées d'informations textuelles et non textuelles - sorte de "sémiologie graphique" avant l'heure...
    Et ta remarque sur le "décentrement" de la Chine à l'échelle du monde me fait penser à ce livre de Philippe Pelletier, L'Extrême-Orient, l'invention d'une histoire et d'une géographie (2011) : http://www.rdv-histoire.com/Philippe-PELLETIER.html
    qui a la double ambition d'être un ouvrage d'histoire (retrace la genèse et histoire de la notion d’Extrême-Orient, par les "Occidentaux" mais pas seulement et pas tous seuls...) et de "métagéographie", un mot qui peut faire peur mais qui veut simplement dire qu'on réfléchit sur les grandes catégories spatiales, les grands découpages du monde et leurs usages - pour une définition précise : "ensemble des structures spatiales (set of spatial structures) à travers lesquelles les gens, individus et groupes d’individus (people) ordonnent leurs connaissances géographique du monde : les cadres (frameworks) souvent inconscients qui organisent les études d’histoire, sociologie, économie, sciences politiques ou histoire naturelle” (Lewis, Wigen, 1997)

    Comme quoi, si les cartes géographiques sont pour les contemporains une manière d'exprimer leurs représentations du monde et de la Chine en particulier, de différents points de vue, pourquoi ne pourrait-on pas nous historiens les utiliser pour raconter l'histoire en général, pour dérouler notre récit ?

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